dimanche 10 mai 2015

Albanie, Macédoine, Grèce

20 avril. L'Albanie.

Première journée. Premières images...

Une nature pelée.


Des moutons à perte de vue, flaques blanches se formant et déformant au gré des mouvements grégaires, autant de mirages dans le miroitement de la chaleur.


Une vague violette de parfum suave serpentant entre les verts d'une végétation gagnée par le printemps.



Une myriade de tombes essaimées le long de la route. De pittoresques églises de pierre, nous rappelant que la population n'est qu'aux deux tiers musulmane.


Un bal de Mercedes, quelques Land Rover et grosses 4x4 sur les routes, des cabanes de torchis et cartons dans les champs où gambadent des dizaines d'enfants roms.


Un trait jaune sur la carte, une première route qui gonfle et prend du volume à mesure qu'on la roule. Forme, couleur et senteurs en mouvement, qui nous amènent chez Linda, Aleksander et leurs trois filles, Aphrodita, Elisabeta et Anna, à Ksamil.


Des maisons en attente, des maisons mal finies. Sur tous les toits, des fers à béton qui attendent l'étage suivant. Qui attendent les sous. Mais surtout paralysées par de nouvelles mesures luttant contre l'anarchie devant la soudaine liberté qui s'est emparée de la construction, au début des années 90.
"Un nouvel hôtel chaque nuit" comme aime à l'imager Linda.
De même, des constructions en devenir détruites, non pas par un tremblement de terre, mais par un ras de marée gouvernemental visant à lutter contre ces mêmes constructions illégales qui ont poussé comme des champignons au lendemain de l'ère communiste.


Ksamil. Des discussions riches et troublantes sur le pas de porte pour les adultes, la découverte des années dictature et des conditions de vie sous le régime, tissées d'anecdotes aigres douce qui les font rire aux éclats, vaut mieux en rire qu'en pleurer, glissent-ils entre deux larmes, des jeux de cache-cache, de tortue, d'attrape-lucioles dans la nuit scintillante pour les filles qui la veille du départ ont enfin osé faire le pas et appris le langage des signes, comme elles disent, pour communiquer avec Anna et Elisabeta tandis qu'Aphrodita bûche ses examens, soucieuse d'entrer à l'université de Tirana cet automne. Un peu de travail, de lessive qui sèche en un tour de main grâce au vent à nouveau déchaîné.




Et les agréables flâneries dans cette petite ville de huit mille habitants, ville de poussière, la terre prenant le relais du goudron à peine quittée la rue principale, seule asphaltée. La vie semble tourner au ralenti, elle se déroule, sur les terrasses, sur le trottoir pour ces balayeuses toutes vertes, en pause entre deux coups de balai. La jeunesse flâne, dans la chaleur du début d'après-midi, l'école est finie. 




Butrint.
À cinq kilomètres de Kasmil, les superbes vestiges de Butrint, habitée depuis les temps préhistoriques, aujourd'hui occupée par le passé coloré d'influences grecques et romaines, et par des centaines de Cistudes d'Europe. Un vendeur de börek à la peau tannée, des marais, une plaine aride, un lac peu profond, aux eaux de source froides à température constante, propice à l'élevage de moules, qui se mangent aussi crues. 
Et la petite route grossièrement asphaltée qui file de l'autre côté de la rivière, vers la Grèce, vers Igoumenitza, à travers une nature vallonnée, piquée de petits villages rustiques d'où pointent ça et là les minarets des mosquées.
Un radeau tracté par câble, sur cette route frontalière, pour enjamber la rivière.









Une dizaine de jours seulement dans ce pays fascinant, qui s'éveille après des années de communisme et de dictature, un voyage dans le temps, quelques sites et villes magnifiques classées à l'Unesco sur notre chemin, mais surtout, la vie, la vie au quotidien, à chaque coin de rue, au bord de la route, dans les champs, la vie au travers de toutes ces images figées dans le temps, glanées sur le vif, la vie au détour des conversations.
Les yeux sont trop petits, ils peinent à absorber tout cet ailleurs, l'école n'a plus de place sur les routes, elle attendra. De toute façon, elles sont à tel point cahoteuses qu'elles ne font pas bon ménage avec elle... autant qu'elle "passe" par la fenêtre.

La route côtière entre Ksamil et Himarë nous rappelle la Calabre, avec ses villages juchés sur des collines chevelues, entre deux nappes de brouillard qui s'effrangent sur les toits.

Un bout de pré, quelques oliviers centenaires parfaits pour grimper, un lavabo, un cabanon toilette, une tente pour seul logement et un grand sourire qui nous happe au passage. Un beau coin pour savourer la tombée du jour, et passer la nuit saturée d'échos de conversations.







La côte continue de se dérouler devant nos yeux. Un col à plus de mille mètres nous fait basculer de l'autre côté de la montagne, et passer de hameaux aux maisonnettes parfois miséreuses à la folle exubérance de villes balnéaires telles que Vlöre.

Alors que nous quittons la côte et nous enfonçons dans la campagne, les routes redeviennent douteuses, les villes à l'état d'ébauche, les gens retournent à leur faux, les hommes à leurs jeux et à leur café. La vie revêt à nouveau des airs paisibles, elle prend un autre rythme, nous emmène dans un autre temps.




Vlöre





Nous nous arrêtons chez la très accueillante Donna, à une dizaine de kilomètres de Berat.
Ces campings chez l'habitant sont à présent devenus pour nous des incontournables. Que ce soit un bout de pré ou un coin de jardin, les gens mettent à disposition un morceau de chez soi où se poser, des sanitaires allant du plus simple au plus sophistiqué. Ils ont le mérite d'être ouverts hors saison, et surtout, nous permettent tous les jours de superbes moments de discussion. Les gens sont communicatifs, soucieux de parler de leur pays, de leurs rêves, de leurs espoirs et leurs regrets, de leurs déceptions.
Chez Donna, c'est le luxe. Un grand jardin bien tondu où gambadent des lapins, des sanitaires étincelants, un potager généreux, des cafés glacés et jus en guise de bienvenue. Dix années passées en Grèce ont permis à la famille de construire une maison et accéder à une qualité de vie décente. Les belles maisons d'ailleurs appartiennent à des familles qui ont travaillé à l'étranger, ou qui ont un membre de la famille à l'extérieur du pays, nous rappelle Donna. L'essentiel des revenus pour beaucoup provient en effet des envois que font régulièrement les émigrés... et il y en a dans chaque famille rencontrée.
Les discussions, une fois de plus, vont bon train, avec des sujets récurrents tels que la corruption, l'absence d'engagement du gouvernement, le flegme de la police, l'émigration, l'école... que se partagent les enfants du village: les petits le matin, les grands l'après-midi.


L'école de Ura Vajgurore
Berat. Une des villes les plus anciennes d'Albanie, la "ville aux mille fenêtres", inscrite au patrimoine de l'Unesco, qui porte le témoignage de la coexistence au fil des siècles de différentes communautés religieuses et culturelles, dans le respect de chacun. Une tolérance et un "bien vivre ensemble" qui est toujours d'actualité à Berat, ville à forte majorité musulmane, et plus largement dans le pays tout entier. Les couples sont mixtes, ils sont fiers de cette ouverture et tolérance mutuelle en ces temps troubles... et il y a de quoi.

Nous retrouvons dans la ville fortifiée construite sur une colline, où vivent encore une centaine de familles, les jolies maisons à encorbellement de certains villages du Pélion. Des quartiers pittoresques où le temps semble suspendu, dominant une ville par endroits enlaidie par les constructions illégales qui ont explosé à la chute de la dictature.




 














Après Berat, une journée de route nous mène à travers collines et montagnes dans les environs de Pogradesh, s'étendant au bord du lac d'Ohrid, à un jet de pierre de la frontière macédonienne.
Un tracé dans l'ailleurs que nous suivons les yeux écarquillés, du moins les passagers, le conducteur décollant rarement les siens de la route, soucieux d'épargner les suspensions.

Des paysages réunissant le meilleur et le pire, collines bucoliques à la végétation débridée, mosaïque de champs morcelés, entrecoupées de villes telles qu'Elbasan, aux constructions folles, le tout dans une joyeuse anarchie et débandade de couleurs. Un fouillis pas toujours très heureux mais qui séduit de par la vie intense, le fourmillement agréable animant ruelles, marchés et cafés, qui souvent va de pair.




Elbasan

 

Le meilleur et le pire également lorsque des usines décharnées mais encore fonctionnelles enfument les villages et campagnes, lorsque succèdent aux jolies maisonnettes rustiques, flanquées de ruchers multicolores et bottes de paille, des ruines fantomatiques à l'allure effrayante. Visions d'austérité, visions parfois apocalyptiques...


À tout bout de champ, des sculptures, tours et usines abandonnées, bunkers oubliés au bord de la route ou à moitié ensevelis sous la végétation nous rappellent les sombres années sous le joug de la dictature. 
 









Et déjà, le Lac d'Ohrid, qui s'étend à nos pieds...


La terre et la boue pour nous souhaiter la bienvenue au camping Victoria, petit bout de pré attenant à l'hôtel du même nom, un cheval farouche, une meule de foin, des eaux assombries par un ciel chargé soufflant sur la région une atmosphère empreinte de mystère. 

 




Le Lac d'Ohrid est surprenant. Immobile, comme figé, troublé seulement par le saut des corans, truites endémiques de ce lac, et les barques de pêcheurs isolés qui caressent les eaux plus qu'ils ne les fendent. 
Le lac le plus ancien d'Europe avec les Lacs de Prespa voisins.




Nous sommes maintenant à quelques kilomètres de Pogradesh et de la frontière macédonienne.... Mais pas encore décidés à quitter le pays. Nous avons l'impression de n'avoir fait que le survoler.

Cap sur Voskopojë, à travers champs et collines, longeant ça et là de belles rivières malheureusement jonchées de déchets.
Vokospojë, joyau de l'histoire albanaise, haut lieu de l'histoire économique et culturelle des Balkans autrefois, aujourd'hui petit village perdu dans les collines plantées de pins séculaires. Petit morceau de Jura égaré dans un fond de vallée albanais. Une route goudronnée puisque le village abrite un site intéressant, des églises byzantines extrêmement bien conservées, ayant échappé, de par leur situation isolée, à une destruction massive sous le régime communiste, qui avait interdit toute forme de religion et déclaré l'Albanie pays athée.
Au bout de cette route, au bout de rien, de nouvelles routes, ou plutôt des pistes de terre, qui s'enfoncent encore plus profondément dans les montagnes, pour atteindre, vingt kilomètres plus loin, des villages totalement oubliés.






 

 


La région est magnifique, les efforts déployés pour faire connaître et aimer les lieux, malgré le peu de moyens, encore plus admirables. À peine sortis de Caracol, nous sommes pris en charge par Mira, très sympathique jeune femme parlant un excellent français appris à l'école, responsable du tourisme à Voskopojë, passionnée par son village et soucieuse de transmettre son héritage culturel. Elle nous promène gracieusement à travers les ruelles en terre ou pavées bordées de maisonnettes ravissantes, nous balade d'église en église, nous raconte, nous montre les splendeurs de l'époque byzantine. Éblouis par les fresques remarquablement conservées de Shën Kolli (Saint-Nicolas), la grandeur et la puissance de Shën Mëria (Sainte-Marie), la lumière intérieure de Shën Thanasi (Sainte-Athanase). 

Voskopojë
Shën Kolli




Shën Mëria




Shën Thanasi

Sur ses conseils, nous terminons la journée dans une petite taverne locale pour un premier repas albanais. Une cuisine excellente avec le même esprit de convivialité qu'en Grèce: un choix de différentes spécialités que l'on partage.


C'est à contre-cœur que nous décidons de quitter les lieux, la mauvaise météo du lendemain nous faisant opter finalement pour un retour au camping Victoria et un passage de frontière fatalement imminent.
Non sans un arrêt au préalable par la ville de Körce, multi-ethnique abritant une majorité d'albanais et une minorité de grecs, slaves de Macédoine et roms. 
Mosquées et églises égaient la ville, dont la splendide Cathédrale de la Résurrection du Christ, construite en 1992, qui symbolise le retour à la pratique religieuse dans ce pays où toute religion avait été interdite entre 1967 et 1991 sous le régime communiste. Reconstruite d'ailleurs à l'emplacement même de la Cathédrale Saint-Georges, détruite en 1968.









Pause gourmande au retour sur les bords de route, où sont dispersé, comme souvent en Albanie, plein de stands tenus par les paysans du coin vendant leurs produits: miel, conserves de fruits, pommes et noix, pour notre plus grand plaisir... mais aussi fromages savamment macérés à l'odeur parfois repoussante, aux côtés de tonneaux où finissent de sécher, sur les os, des lambeaux de viande.

 

 

Au petit matin, la pluie annoncée est là... l'occasion d'un petit déjeuner à rallonge avec vue sur le lac et ses changements d'humeur.






Le soleil pointe déjà alors que nous atteignons Pogradesh, petite bourgade agréable à l'animation de fin de matinée caractéristique des villes albanaises. Les élèves envahissent les rues, s'offrent une partie de baby-foot avant de regagner leurs pénates, les femmes rentrent du marché, les badauds déambulent sur la charmante jetée tandis que les hommes se laissent absorber par une partie d'échec.



 

Un second et dernier repas albanais. Il ne fallait tout de même pas omettre de goûter au fameux "coran"!


Nous laissons déjà derrière nous ce pays assurément coup de cœur, dont nous n'avons visité qu'une infime partie, avec le projet d'y revenir bientôt.


Nous quittons certes l'Albanie, Pogradesh mais pas le lac d'Ohrid. Changement de côte, changement de point de vue, changement de pays. Époustouflant une fois de plus. 
Le choc. Une frontière, quelques douaniers, une nouvelle monnaie, on troque les 140 lek contre 60 dirams pour un euro. Le paysage ne bouge pas, l'environnement reste le même, mais la richesse de la ville touristique d'Ohrid, qui rayonne sur les villages environnants, nous saute aux yeux après la misère de certains coins d'Albanie. 
Nous retrouvons des cars de touristes à quelques minutes de la frontière, alors que nous nous arrêtons au Monsatère de Sveti Naum, sous bonne garde. Les paons, en pleine parade de séduction, séduisent davantage les filles que les fresques.


 


Nous sommes maintenant dans l'ancienne république yougoslave de Macédoine, ou Skopje, ou Fyrom. Mais en aucun cas la Macédoine, qui est une région de Grèce. Le sujet est brûlant, on s'est fait remettre en place à plusieurs reprises par des vrais macédoniens. "Ces gens n'ont rien à voir avec nous, ce sont des slaves. Ils ne parlent pas grec, leur culture n'est pas la même, ce nouveau pays n'a pas lieu d'exister".

Nostalgie? Envie de prolonger un petit bout d'Albanie? Toujours est-il que nous allons nous perdre quelques jours à un jet de pierre de la frontière albanaise, à vingt kilomètres d'Ohrid, dans un petit camping chez l'habitant greffé sur une enclave albanaise, chez Mehdi et sa charmante famille albanaise. Un bord de lac cerné de roseaux, un quotidien animé du va et vient incessant, au petit bistrot de Mehdi, de sa grande famille, la plupart parlant un bon "schwitzerdütsch", étant établi ou ayant travaillé à Zürich.


Médine, la fille de Mehdi, charmante autodidacte qui parle un excellent anglais et un non moins bon allemand appris à la maison, nous fait découvrir la complexe Skopje, aux régions très typées écartelée entre l'Albanie, la Bulgarie et la Grèce. Une minorité albanaise, proche de la frontière, l'espoir pour eux de la voir disparaître afin qu'ils puissent rejoindre l'Albanie. Les relations avec les macédoniens sont difficiles, les albanais sont souvent exclus. "Pas de travail pour nous, même avec un bon diplôme universitaire. Les Macédoniens passent avant nous, " nous confie Médine. Plus que jamais, les familles sont éclatées, l'émigration des uns presque obligatoire pour vivre et faire vivre. Elle-même émigrera à Vienne après son mariage cet été, tandis que son frère travaille déjà depuis quelques temps à Viège, comme plusieurs autres membres de la famille.

Le séjour est court mais intense, le lac, situé à 900 mètres d'altitude est trop froid pour la baignade mais magnifique dans les lumières du coucher, la table du bout du monde invite à l'apéro.


 


Le 1er mai, la fête bat son plein, on n'ose presque pas la fêter, cette journée, et puis tant pis, l'agneau est succulent, l'aire se remplit de dizaines de bambins, de jeunes parents et vieilles gens aux fichus colorés et chapeaux de feutre, en habit du dimanche.




À Ohrid, on retombe dans une vie trépidante, touristique. Les gens se bousculent sur l'allée, font la queue devant les gelaterie artisanales, les terrasses ne désemplissent pas. À des années-lumières de l'Albanie, calme et authentique, encore peu visitée, qui n'est pourtant qu'à un jet de pierre de là, de l'autre côté du lac.




 



 

 






En quittant le Lac d'Ohrid, nous retrouvons de tout petits villages oubliés, aux cahutes modestes, une jolie route serpentant entre les flancs boisés et sauvages des montagnes de Galicica... Un habitat de rêve pour l'ours, indubitable résident des lieux, comme en témoignent les ruchers entourés de barbelés.


Au col, on passe de la commune d'Ohrid à la commune de Resen. Une montée agréable sur une route lisse et soignée à l'image de la ville laisse place à une descente cahoteuse sur une route à nouveau bosselée et mal raccommodée, qui nous mène en Grèce.

Les Lacs Prespa.
Ils apparaissent dans toutes les conversations, lorsqu'il s'agit de nous vanter les beautés de la Grèce et les lieux à ne pas manquer.
Indubitablement fidèles à leur réputation. Ils nous éblouissent, tant par leurs beautés et par leurs eaux immobiles s'étendant entre les berges comme un gigantesque miroir que par la paix qu'ils dégagent. Petit coin de paradis que seul ébranle le coassement des grenouilles ou le chant des oiseaux.


La Grèce, l'Albanie et l'ancienne république yougoslave de Macédoine se partagent Megali Prespa, le plus grand lac. Les eaux de Micro Prespa chatouillent quant à elles les berges de l'Albanie au sud. Les quelques habitants de cette région de Grèce parlent une langue proche du Bulgare, sont slaves, et ont peu de choses en commun avec les grecs, si ce n'est qu'ils vivent sur le territoire grec. Le seul bus hebdomadaire qui les relie au reste du pays trahit d'ailleurs ce souci d'exclusion et crée semble-t-il bien des tensions.
Les Lacs Prespa sont les plus anciens d'Europe, avec le Lac d'Ohrid, qu'ils nourrissent.


Première nuit dans le petit village d'Agios Germanos, qui abrite de belles églises.

  

Les journées passent trop vite entre haltes ornithologiques et balades dans des milieux variés. Marais, roselières, mais aussi collines plantées de forêts de vieux cèdres endémiques, protégés. Nous nous émerveillons devant les iris sauvages et les magnifiques orchidées, tandis que les filles sont tellement occupées à attraper papillons et insectes qu'elles ne voient pas le temps passer, et râlent à chaque fois qu'une marche prend fin




 


 


  


 

  


Belles nuits à Psarades, au milieu des vaches naines, endémiques de la région, dans le coassement des grenouilles et le hululement du Petit-Duc.

Nous visitons en bateau quelques magnifiques askitiria, ermitages byzantins habités jadis par des moines, dont la belle église de Panagia Eleousa, fichée dans une falaise abrupte dominant le lac, aux remarquables peintures rupestres.



 

 




Bien que l'on croise parfois encore le chemin d'une tortue, ce sont indubitablement les serpents qui prennent le relais. On les lève bien malgré nous tous les jours par dizaines. Couleuvres, orvets ou vipères, dans les milieux humides, les prairies ou la garrigue, ils sont omniprésents. Des rencontres envoûtantes, avec parfois de belles frayeurs comme lorsque Loïse, le nez en l'air, occupée à attraper les papillons, manque marcher dessus, quand elle ne le fait pas carrément. C'est un gigantesque serpent, tenant davantage du python que d'une espèce locale, qui détient la palme de notre plus grosse frayeur, alors que son corps, massif et lourd, ne correspondant ni à la couleuvre ni à la vipère habitant ces lieux, se trouve soudain catapulté dans les broussailles, en bordure de prairie, après que Loïse ait libéré la queue sur laquelle elle marchait. Nous trouvons le coupable le soir, le nez plongé dans le guide herpéto. Il s'agit de l'Orvet géant des Blakans, sorte de gros lézard sans patte inoffensif mais impressionnant, qui porte admirablement son nom. Au chapitre de la plus belle rencontre, c'est la couleuvre léopardine, découverte par Zoé, dans un hurlement aussi peu gracieux que l'est le corps svelte et magnifiquement décoré du serpent, splendide avec ses tâches brunes cerclées de noir, qui remporte le premier prix. Pas d'images, cependant, ces bêtes furtives et rapides défiant le numérique.


Le lendemain, le camion du boulanger nous réveille de son klaxon agressif mais prometteur, rapidement relayé par le marchand de légumes, qui arrive en musique. Comme dans les villages du Zagoria, les boulangeries et épiceries n'existent pas, les magasins sont mobiles.



Un joli sentier nous mène à l'ermitage de Metamorfosi, accessible à pied, puis au Cap Roti, qui nous offre une vue époustouflante sur Mégalo Prespa, l'Albanie et l'ancienne république yougoslave de Macédoine. Le sentier des serpents, comme l'appellent les filles, tant les rencontres reptiliennes sont fréquentes.
Les pélicans, rasant les eaux du lac ou nageant paisiblement, nous envoûtent autant que les bêtes rampantes, tandis que nous fondons littéralement de chaleur sur les sentiers enchevêtrés dans la broussaille.


 




 





 

Enfin une dernière balade, dans la lumière du soir sur l'île d'Agios Achilleos, anciennement capitale du tsar bulgare Samuel au Xe siècle, dans un milieu extraordinaire tissé de ruines de monastères et d'églises byzantines, de par-terres de fleurs odorantes, de rencontres avec les vaches naines endémiques et buffles chevelus, le tout sur un promontoire offrant une vue panoramique sur Micro Prespa. Un pont fendant les eaux du lac nous y mène, permettant quelques belles observations de cormorans pygmées, pélicans frisés et couleuvres serpentant entre les roseaux.





 








 


Flânerie matinale à Psarades, peuplé essentiellement de personnes âgées. Des reliques d'anciennes places de jeux "piquantes" témoignent du temps d'avant l'exode où les rires des enfants résonnaient encore dans le village. 





 

L'été a pris de l'avance. Plus de trente degrés alors que les lacs Prespa étendent leurs charmes à près de mille mètres d'altitude.







Ambiance caniculaire lors de la balade à la recherche de buffles barbotant dans l'eau. Implantés sur les berges du lac sur l'initiative d'une ONG, le projet a capoté faute de moyens. Dommage, nous explique un gars du coin, les buffles permettant de libérer les berges de l'invasion des roseaux avant qu'ils ne mangent le lac.
Point de buffles, mais des dizaines de couleuvres languissant dans un ancien canal d'irrigation. Faciles à observer et qui plus est, sans danger.





Microlimni, hameau isolé dans sa verdure, les pieds dans l'eau, à deux heures de marche de l'Albanie. Une balade de fin de journée jusqu'au lieu-dit de Latsista, nous emmène d'un milieu forestier au nord à un milieu aride de garrigue grecque, à la rencontre de serpents qui cette fois ont vraiment effrayé les filles, précisément parce qu'ils font tout faux et ne correspondent en rien à ce que leurs parents leur ressassent à longueur de journée... des serpents se gaussant des clichés: non, ils ne nous entendent pas venir et ne filent pas avant même qu'on les approche. Zoé devient experte qui, avec ses yeux de lynx, les débusque à chaque fois dans un même cri guttural, alors que, étendus au milieu du sentier, la langue fourchue et menaçante, ou faisant le mort, ils guettent nos mollets qui les frôlent sans même percevoir leur présence. Comme ces deux couleuvres caspiennes enlacées et qui ont mis du temps à se dénouer et fuir, en nous ayant au préalable copieusement sifflés, ou cette vipère ammodyte, faisant la morte sur le sentier, bien plus menaçante que les précédentes, sachant ce qui serait arrivé si elle avait planté ses crocs dans notre chair.
À Latsista, nous avons le plaisir d'échanger les quelques mots que nous maîtrisons avec un berger albanais avant que ses trois chiens furieux ne nous chassent. Le retour est une épreuve pour Loïse. Autant dire que nous gardons cette fois-ci les yeux rivés au sol, à la recherche de ces serpents invisibles, qui s'ils sont parfois effrayants, sont avant tout fascinants et nous ont enchanté tous ces jours passés dans le parc.


 








Dernier repas sur sol grec, dans la seule taverne de Micromilni, splendeur rétro aux murs tremblants et étagères toutes de travers, sur la terrasse léchée par les eaux figées du lac, que remue de temps à autre un pélican ou une aigrette.
On renoue avec la cuisine grecque, on découvre les spécialités de cette région, parmi elles les haricots noirs en salade, et les haricots blancs de Prespa qui ont remporté le premier prix dans un quelconque concours suisse. On se régale devant le meilleur tzaziki de Grèce, le cochon noir et les truites de Prespa, la tenancière nous avoue humblement avoir animé des émissions culinaires à la télé dans sa vie d'avant Prespa. Dernier tsipouro, version corsée de l'ouzo, avec le beau-fils, suivi d'un best off canin au milieu de la nuit alors que nous tentons de regagner discrètement Caracol, planté à la sortie du village sur les berges grignotées par les roselières. Nuit calme, bercée par le chant du rossignol qui s'égosille, relayé aux premières lueurs du jour par la rousserole turdoïde.    

 

Mercredi 6 mai. Dernier café frappé, à la mode grecque, agréablement glacé en cette matinée déjà caniculaire...


On retarde le moment de quitter les lieux. Avides, on se repaît encore une fois de ce lac splendide, paisible, soucieux d'en absorber la moindre miette, tandis que dans les roseaux continuent de piailler les rousseroles, tandis que s'approche un pélican, intrigué par le manège de quelques chats habiles en train de pêcher, d'un coup de patte sans équivoque, les poissons du lac. Tandis que s'esquisse dans notre tête, déjà, un prochain voyage, estival cette fois-ci, dans cette région splendide des Balkans.





Un dernier détour par les prairies marécageuses où ondulent des nuages de narcisses, une dernière respiration, profonde, pour en emporter le parfum, et c'est parti pour la sixième grosse journée de route depuis le début du voyage. Quatre cent kilomètres d'école, de journal de bord, de bricolage et de tri de photos nous attendent pour rejoindre Alexandropoulos. Les yeux pour une fois fermés pour ne pas céder à la tentation de s'arrêter.


Malgré les dizaines de panneaux essaimant la route sur les cinquante kilomètres suivant la sortie du Parc National de Prespa, nous rendant attentifs à la présence de vie sauvage et à la rencontre inopinée d'ours ou de loups, ils resteront pour nous de papier et d'encre.


La nostalgie des grands espaces et des bivouacs paisibles n'a jamais été aussi forte alors que nous atteignons, de nuit, le camping municipal d'Alexandropoulos et nous enfilons en sandwich entre deux demi-douzaines de camping-car parqués en rang d'oignons.

Cap sur la Turquie. Avec au passage une douce réminiscence de nos jeunes années VLO, grâce à David, cycliste français gagnant Istanbul à la force de ses mollets, avec qui nous partageons un de ces apéros-souvenirs de bord de route. Istanbul, notre premier grand but il y a douze ans. La Turquie, touchante, hospitalière, gigantesque, qui nous avait vus flâner quatre mois. Divisé par 5,2... C'est à peu près ce que nous laisse notre capital temps pour ce come back dans un pays qui avait gagné une place certaine dans nos coups de cœur.


Détroit des Dardanelles
Erdec.
Le chant du muezzin rythme nos journées alors que sèche le linge, jouent les enfants, carburent les ordinateurs... et se décide la suite de l'aventure. Istanbul en bateau? Un remake à la façon "années de nos trente ans"? Un nouveau voyage, de nouveaux lieux? Avec une petite place pour la splendide Capadocce?
Le nez penché sur notre carte, sur fond de hits turcs passés en boucle, de karaoké et rires d'enfants perçant le fumet des grillades, nous faisons et défaisons la route, comptant pour une fois les jours.
La Turquie est décidément trop grande et notre envie de rouler trop petite, elle ne tient même pas sur le recto de la carte, notre cœur s'emballe, nos envies n'ont plus de raison, on ne raisonne plus du tout d'ailleurs. On verra bien, tout reste ouvert.