vendredi 23 janvier 2015

Les Iles Eoliennes

Benvenuti in Sicilia!

Une douzaine de dauphins luisants cabriolent et batifolent devant nous, comme pour nous souhaiter la bienvenue. Leurs sauts sont impressionnants, leurs jeux insouciants... ils disparaissent aussi vite qu'ils sont arrivés, nuée d'argent piquetée d'écume qui s'évanouit comme s'il ne s'était agi que d'un rêve...


Arrivée à Messine. Cap sur Milazzo.


Lourdement harnachés, nous quittons Caracol le lendemain pour les Iles Eoliennes. Un petit appart réservé la veille nous attend à Lipari. Angela et son fils Walter nous accueillent chaleureusement à l'arrivée de l'hydroglisseur dans le port de la petite ville.



Les Iles Eoliennes sont au nombre de sept. Lipari, Vulcano, Salina, Panarea, Stromboli, Filicudi et Alicudi.
Un peu déçus à l'arrivée lorsque Walter nous lance que le Stromboli, en éruption quasi permanente depuis deux mille cinq cent ans, a cessé de cracher depuis le mois de novembre. Il est cependant très actif en ce moment, dégage de grandes quantités de CO2, hautement toxique, qui indiquent que du magma neuf est en train de s'approcher de la surface... Prémisses probables d'une plus grande éruption sous forme d'explosion violente... ou d'une reprise de l'activité explosive "strombolienne" classique.
Le Stromboli... Un rêve éveillé qui nous accompagnera les jours suivants, un peu comme un fil rouge s'insinuant au quotidien dans nos balades. Où que nous soyons, quoi que nous fassions, nous garderons un œil attentif sur son cône tantôt mycophage, tantôt crachant des volutes de fumée impressionnantes, nuages de cendres s'étirant à l'horizontale jusqu'à la côté italienne ou prenant le large au gré du vent. Dans l'espoir que quelque chose se passe... Un espoir alimenté par les souvenirs éclatants bien que vieux de vingt-six ans d'une nuit lumineuse rouge vermeil mais néanmoins blanche passée à un jet de lave du volcan éructant toutes les vingt minutes.

Le lendemain, jolie balade dans les alentours de Lipari, à travers figuiers de Barabarie, orangers et citronniers. L'île s'est mise à l'hiver, récupère paisiblement du tumulte de l'été. Quelques coups de marteau qui résonnent ça et là, le bar du village qui ne désemplit pas, une pioche et un jeu de cartes, le soleil qu'on prend sur le perron...
La marche nous emmène jusqu'au Monte Guardia dominant la ville, puis jusqu'à un observatoire géophysique qui nous offre une vue splendide sur l'île de Vulcano et sur l'Etna, se noyant au loin dans la brume. À la fois couvert de neige et auréolé de fumée expulsée par des entrailles brûlantes, il nous offre un spectacle insolite.

Lipari



Vue sur Vulcano, la Sicile et l'Etna
Vulcano, au loin


Le lendemain restera sans doute une des journées les plus marquantes du voyage.... une de ces journées coup de cœur.
À neuf heures, alors que l'île se réveille, nous accostons à Vulcano. Les effluves de soufre nous enveloppent aussitôt. L'ascension du volcan à cette heure pourtant matinale nous fait suer à grosses gouttes. Ambiance caniculaire, alors que nous passons du sable noir à l'argile épargné par l'érosion qui a sculpté de splendides canyons. Fébrilité à l'idée de gagner bientôt le cratère.
Et soudain, tout s'emballe. Griserie devant la nébuleuse, enivrement, trouble... Vapeurs de soufre qui nous étourdissent, ivresse du moment, fumerolles enveloppantes... Tout n'est plus que confusion. Les couleurs se mêlent et s'entrechoquent, jaune vif des cristaux de soufre, bleu profond du ciel et de la mer, gris évanescent des fumerolles, noir intense de la lave et luisant de l'obsidienne...

























Les jours suivants ne sont qu'enchantement.
Les balades, rythmées par les aboiements des chiens de garde qui excellent dans leur tâche et les hurlements des filles qui se distinguent aussi, se succèdent.
Nous regagnons nos pénates le plus souvent à la tombée de la nuit, nous égarant sur des sentiers improbables, avec dans les mains une ébauche de carte douteuse qui nous jette d'un bout à l'autre de l'île. Les sentiers nous emmènent où ils vont. Inutile de planifier quoi que ce soit, nous finissons toujours par échouer ailleurs.
Chaque jour, un chien différent nous adopte, semant la zizanie dans les hameaux que nous traversons, les cerbères consciencieux, plus nombreux que les humains, attaquant cet intrus qui court se réfugier vers ses maîtres du jour.
La vue depuis le Monte San Angelo, le plus haut sommet de l'île, est splendide. 360 degrés d'enchantement sur les six autres îles qui semblent naviguer au loin... A l'horizon, la côte sicilienne et l'Aspromonte calabrais dont on devine la silhouette furtive.
Et toujours la même question lorsque nous atteignons enfin un village: "buona sera, dove siamo per favore?" Où sommes-nous? Nino nous répond et nous prend sous son aile au bar du village, nous raconte autant sa vie que son île. On doit se battre, lorsque le bus arrive, pour payer nos billets que l'hospitalité insulaire lui dicte de pendre en charge.

Lipari





20 janvier. Pour la première fois depuis six mois, le réveil sonne.
Le bateau nous emmène sous un ciel bas et chargé à Marina di Salina.
Salina, l'île du "Postino", Salina, étonnamment jeune et dynamique pour un si petit morceau de terre, aux villages endormis.
La journée commence par un café bien serré. Du port, la tête en l'air et le corps basculant en arrière, nous scrutons il Monte Fossa delle Felci, plus haut sommet des Iles Eoliennes, qui s'élève d'une traite au-dessus de nous. 964 mètres de forêts quasi vierges, où lauriers roses, myrtes, oliviers, bruyères et genêts se serrent les coudes. Le sentier, raide, rendu glissant par une sorte de glaise humide, se tortille à travers de sombres tunnels végétaux qui nous font la courbette. Le climat, quasi tropical, donne à cette ascension des airs de jungle. On dégouline, on ruisselle. Subitement, alors qu'on n'y croyait plus, le cratère, noyé sous une végétation luxuriante, apparaît. Au sommet, une fois déniché un passage qui perce cet embrouillamini d'arbustes et de plantes, nous gagnons un rocher suspendu au-dessus du monde. La terre s'évade sous nos pieds, les bleus s'étalent...
Stupéfiant! La vue est tout simplement fantastique. Les maisonnettes de Lingua, minuscules taches blanches, percent, immaculées, les brun vert de la végétation.
C'est en voyant l'Ile de Lipari, aplatie et soudain insignifiante à nos pieds que nous réalisons que nous avons vraiment pris de l'altitude.
Le temps d'un pique-nique, et de jeux pour les filles décidément infatigables, il faut déjà songer à la descente. Pour regagner le port, pas question de prendre ce gigantesque toboggan que nous avons emprunté à la montée. Nous basculons de l'autre côté du cratère, gagnons un sentier, curieux de savoir où il nous mènera. La descente à travers eucalyptus, chênes verts et pins maritimes est agréable, splendide la vue sur le Monte Porri, le jumeau du Monte Fossa delle Felci, derrière lequel se cache Pollara, le village du "Postino". L'alignement des trois cônes volcaniques - Monte Porri, Filicudi et le lointain Alicudi - nous accompagne sur toute la descente, au gré des percées dans la forêt touffue.
Leni, puis Rinella, petit port quasi désert que nous atteignons en fin d'après-midi, suivant le serpentin orangé que tracent jusqu'à la mer les réverbères qui viennent de s'allumer. Juste à temps pour le bateau qui déjà pointe à l'horizon...
















Lami


Rinella

Une dernière balade nous fait découvrir le nord de l'île. Un petit bus nous emmène jusqu'à Aquacalda, d'où part un sentier pour le Monte Pelato. Bleu guilleret du ciel, bleu profond de la mer, "ospitalità in blu" comme se plaisent à le dire les insulaires. Le sentier, joliment sculpté par les pluies, devient acrobatique pour le plus grand plaisir des filles. Les obsidiennes jalonnent le chemin, les sacs s'alourdissent. La journée est magnifique, mais un gros nuage planté sur notre tête s'obstine à nous faire de l'ombre. Le froid s'insinue, on pique-nique en faisant de la gymnastique... et on réalise soudain, malgré les apparences, qu'on est encore en hiver.

Comme de coutume, on se perd. Le sentier bute soudain sur une gigantesque barrière délimitant une carrière, à gauche le vide, à droite une végétation inextricable. Il nous faut tout remonter, et choisir une autre option. C'est finalement la "vecchia strada", voie romaine grossièrement mais joliment pavée, qui nous mènera au crépuscule à Canetto, à travers hameaux égarés dans le temps et brins de conversation avec des insulaires extrêmement chaleureux. Le tout dans les pas de "Millie", le chien du jour, vieux et adulé par une Loïse qui ne veut plus le lâcher.












Canetto


Jeudi, dernier jour. Une pluie diluvienne chargée d'orage s'abat sur Lipari, et creuse encore davantage les sentiers. L'occasion pour nous de profiter enfin du petit appart que nous avons loué, et de parfaire, dans les livres cette fois-ci, nos connaissances sur les volcans.
L'occasion aussi de trinquer à la Malvoisie, et de déguster calmement les excellentes câpres de Salina... les deux incontournables des Iles Eoliennes.

Nous quittons ces splendides îles volcaniques, tellement sauvages, passionnantes et touchantes hors-saison, avec beaucoup de nostalgie.
Laissant derrière nous notre fil rouge crachant et suant.
Avec pour unique souhait celui de pouvoir offrir un jour à nos filles une veillée sous les feux d'artifice du Stromboli.

www.activolcans.info/volcan-Stromboli.html
www.laculturevolcan.blogspot.fr
www.facebook.com/StromboliPictures
www.eolieresort.com (Walter Mandarano)