Six
heures trente. Pas besoin de réveiller Zoé et Loïse, elles frétillent déjà,
folles d'excitation. La veille encore, nous n'avions ni location ni billet de
bateau. Tout s'est enchaîné très vite, nous avons enfin trouvé un petit
pied-à-terre.
Le
Pirée se réveille alors que nous trottons jusqu'au port. Le bateau nous attend.
Doodle, uno, dessin, blog, café.... de quoi s'occuper durant les huit heures
que dure le voyage.
Depuis
le pont du Blue Star Ferry déjà, on tombe amoureux. La célèbre île ensorcelle
dès qu'on l'aperçoit. Ancienne Strongili (la Ronde), Santorin a pris forme et
acquis ses falaises vertigineuses suite à une énorme explosion volcanique qui
provoqua l’effondrement dans la mer du centre de Strongili, vraisemblablement
en 1613 av. J-Ch., laissant derrière elle un vaste cratère circulaire...
"Caldeira" impressionnante.
Gigantesques
falaises tombant dans les eaux indigo de la caldeira, maisons multicolores
agrippées à la roche noire, parfois tombant en avalanches de chaux jusqu'à
mi-parcours de criques inaccessibles. Le regard s'accroche, les exclamations
fusent sur le pont. Quelle beauté!
Thira-Imerovigli
Une
première journée dans la capitale de l'île, Thira, à flâner dans les ruelles
étroites et tordues jusqu'à Imerovigli.
A rêver devant les terrasses des suites et hôtels chics avec vue sur la
caldeira, à baver sur les tables de marbre, flûtes de Champagne, jus d'orange
en peignoir, jaccuzzi au coucher du soleil. Destination chic et luxueuse qui a
su cependant garder son charme. Ni haô, namasté, merhaba, ohayò, selamat pagi,
dobroye utro... les rues de Thira sont internationales. Une foule qui nous
change du sauvage et solitaire Péloponnèse. Pourtant, "there's nobody",
d'après les insulaires. La saison commence à Pâques.
Une
fois quitté la rue principale, on est toutefois à nouveau seul au monde. Douce quiétude et vue à couper le souffle devant le Monastère de Panaghia Theoskepasti,
moulé dans la roche.
Seuls
les bruits de marteaux-piqueurs, truelles qui frottent, ponceuses vibrantes et
perceuses stridentes brisent la tranquilité des lieux. Thira et Imerovigli se
préparent pour la saison d'été. On maçonne, on blanchit, on rafraîchit.
Ouvriers et ânes s'activent.... De l'aube à la nuit avancée, ça travaille, il
n'y a plus de dimanche. C'est que l'hiver pluvieux a rendu les travaux
difficiles. Ciment, tuyaux, sacs de chaux, cuisinières, frigos et jaccuzzis
déambulent dans les venelles étroites inaccessibles aux voitures, à dos de
mulet ou à dos d'homme. Les camions-poubelles, avec leurs grandes oreilles et
leur regard mouillé, sont quant à eux attendrissants.
"Camion-poubelle" |
Nous regagnons nos pénates avec une carte de rando dans le sac. Ni terrasse avec vue sur la caldeira, ni jaccuzzi ni marbre, mais une jolie chambre avec kitchenette qui avec ses vingt mètres carrés nous paraît tellement vaste. Et vu les milles et une richesse de l'île et multiples randonnées qui nous font de l'œil, nous ne verrons guère plus que le lit durant notre séjour. Et le bout de terrasse que nous déménageons à l'intérieur tellement il fait froid.
Dix-huit degrés en Valais, entre neuf et onze, treize au plus fort de la journée à Santorin. Les costumes de bain prennent la poussière, les robes d'été s'habillent de polaire, et le seul pull à longue manche que nous avons emporté n'a qu'à bien se tenir.
Thira-Imerovigli-Oia
Une
longue balade le long de la falaise nous mène de Thira à la pointe nord-ouest
de l'île. Un cadre enchanteur, une vue imprenable sur toute l'île. Oia, dans le
lointain, minuscule tâche blanche qui nous appelle et se laisse désirer. Les
maisonnettes cycladiques accrochées à la falaise dégringolent en cascade
jusqu'aux eaux turquoises de la Mer Egée.
Une fois passé Imerovigli, de rares
hôtels offrent calme, vue, piscine et jaccuzzi aux vacanciers, tandis que le
sentier s'élève sur les flancs du Mavrovouno, dans un environnement à nouveau
sauvage et venteux. Psilos Stavros, petite chapelle dominant Oia, invite au farniente, le temps d'une pause jaune printemps à l'abri du vent.
Oia.
Fascinante, splendide, avec ses maisons-grottes multicolores se déployant de
part et d'autre de l'ancienne forteresse. Féerique dans la lumière du
couchant....
Plongeon
dans le passé dans la cité antique minoenne profondément enfouie sous les
cendres après la violente éruption volcanique de 1613 av. J-Ch. Des habitations
bien conçues s'élevant sur plusieurs étages, des fresques murales délicates,
des ornements et objets indiquant une société en avance sur son temps. Personne
ne sait ce qu'il est advenu du peuple minoen d'Akrotiri. Aucune trace, aucun
ossement trouvé sur les lieux. Le mystère reste total. Troublant.
Une
promenade jusqu'à la Red Beach nous permet d'approcher la côte sud-ouest de
l'île, plus sauvage... qui nous reverra sûrement.
Thira-NeaKameni-Palia
Kameni-Thira
Un
charmant bateau de pirates déjà ployant sous le poids de touristes nous attend
au vieux port de Thira. Traversée houleuse au large de Santorin. Cap sur l'île
volcanique de Nea Kameni. Le volcan, fumant et toussant, nous accueille avec ses
noirs ocre striés de rouges et de verts aux teintes quasi artificielles.
Joyeuses réminiscences qui nous reviennent en même temps que les quelques rares
fumerolles souffreteuses qui s'échappent du cratère. Toujours aussi enchanteur,
bien qu'incontestablement plus "léger" que nos vagabondages éoliens
sur Vulcano.
Les
quinze minutes qui nous séparent de Palia Kameni enchantent les filles, alors
que le navire joue aux montagnes russes et nous balance sur sa proue, dans de
joyeuses éclaboussures.
Nous
attendons avec impatience les sources chaudes. On nous a promis 30 à 35
degrés... plus que délectable dans ce vent qui nous glace. Les vagues éclatent
en même temps que nos rêves de vapeur brûlante, alors que le capitaine nous
annonce, dans un éclat de rire, la température de l'eau: 9 degrés, ouf, il
s'agit de la mer... hum, "2-3 degrés de plus dans les sources chaudes qui
peinent en cette saison à réchauffer davantage la mer", poursuit le gentil
capitaine. Bon, on s'en accommodera,
quitte à ne tremper que la pointe des orteils. L'essentiel étant de
s'éclabousser et de goûter à la boue. Les pensées s'entrechoquent, tentant
vainement d'accommoder la réalité au rêve, tandis que le bateau jette
l'ancre.... à une centaine de mètres des sources chaudes. Ah, ça, on avait
oublié de nous le préciser. Reste plus qu'à sauter. Le choc est brutal, les
hourras des autres passagers engoncés dans leurs polaires, et doudounes
réchauffent néanmoins un peu. Zoé, courageuse, est trop occupée à claquer des
dents pour se plaindre. Glacial, mais furieusement revigorant! Les sources
boueuses paraissent presque chaudes.... quel bonheur! Le retour, on n'en parle
même pas. Passer d'une douce tiédeur au froid le plus vif tient du calvaire.
Des millions d'aiguilles transpercent les corps. La mer s'en mêle, avec ses
vagues de plus en plus grosses qui s'entêtent à nous repousser. Belle
expérience, néanmoins, insolite, avec un dernier constat: le plus dur n'aura
été ni le plongeon dans l'eau glacée, ni le froid.... mais la séance de
rhabillage sur une mer tourmentée, dans un vent glacial, en déséquilibre total.
Des
ânes nous attendent au port pour nous tracter jusqu'à la ville.... et c'est
dans les rires et le fumet odorant d'un agneau "kleftiko" cuit à
l'étouffée sur une terrasse dominant la caldeira que se termine la journée.
Un
village aux ruelles capricantes tordues de vie entre les toits et les terrasses
blanchis à la chaux, des fumets d'ail et d'herbes qui s'échappent des petites cases
aux fenêtres moustiquetées.
Un
sentier étroit suspendu au-dessus d'une plaine crochetée de blanc, patchwork de
maisons et de cultures en terrasse. Une salade grecque à l'origan insulaire
savourée les pieds dans le vide, les narines flattées de senteurs du maquis. Le
bal des martinets noirs, pâles, à ventre blanc et des hirondelles de fenêtres, rousselines et
rustiques, en migration, rasant nos
têtes dans une chasse aux insectes effrénée. Un panorama à couper le souffle,
les pensées qui s'envolent vers les îles lointaines qui se devinent à peine, le
souffle chaud du soleil qui nous caresse après le vent fort et glacial qui nous
a fait regretter les gants le temps de la grimpette sur les crêtes. Une terrain de jeu géant pour Zoé et Loïse
qui n'on' en ont jamais assez.
Une
balade peu exigeante qui nous laisse le temps de déguster les délices du sac
autant que cette immensité s'étendant à nos pieds et laissant derrière elle des
bribes de printemps.
Avec
une belle surprise à la descente: le monastère de Panagia Katefiani encastré
dans une gigantesque falaise où s'élèvent et s'entremêlent prières et voies de
grimpes ardues.
Nous emportons le féerique coucher de soleil dans une sombre taverne pour un souper lumineux.
En
fin de semaine, c'est le vent qui dicte nos balades. On boude le nord de l'île
pour le sud. Le vent nous rattrape sur les plages et sur les crêtes, mais nous
offre de bons moments de paix et, de tempêtueux, devient presque confortable...
À
quelques encablures de la très encombrée Thira, on plonge dans une Grèce rurale et authentique. Bonnes vieilles
en fichu, étonnamment vives et alertes lorsqu'elles se mettent à courir après
leur chèvres, vignes en couronnes sur sol aride constellé de pierres
volcaniques, fournissant le goûteux Vino Santo de Santorin, un coq et sa cour
de poulettes, un cheval un mouton, une bergerie dans ce fatras de bêtes, chiche
demeure plantée à côté d'une poignée de patates, quelques parcelles d'orge pour la
consommation personnelle, deux trois champs fraîchement labourés, et des
paysages de bout du monde sur cette extrémité d'île pointant le sud-ouest. Les
falaises rouges et blanches dégringolent dans une eau turquoise, le sentier
défie le vide. Des petites églises blanches égaient cette nature rude. On
sous-estime les distances, on se perd dans cet univers aride à la beauté
épurée, sans artifice. La "frougana" grecque nous enchante à tel
point que c'est au terme d'une course effrénée que nous attrapons de justesse
le dernier bus pour Thira.
Ouf!
On a repris un rythme de fous sur cette île ensorcelante. Rarement rentrés
avant la nuit, les soupers à l'espagnole vers 21 heures.
On quitte nos quartiers à la mi-journée pour une dernière balade tranquille avant de reprendre le bateau.
Séduits
en début de semaine par Oia, réputée pour ses couchers de soleil féeriques, on
retourne là-bas... en bus cette fois-ci. Jolie balade vers le charmant village
de Finikia, qui a poussé en quinconce sur les flancs d'une étroite gorge. Les
maisonnettes multicolores construites dans un joyeux désordre, les murs
arrondis, les angles imparfaits, les ruelles tordues et les escaliers
irréguliers lui donnent un charme fou.
Un
dernier coucher de soleil romantique... parmi une bonne centaine de joyeux
lurons, un retour encombré dans un "local bus" où s'entassent autant
de personnes, assis, debout, les uns sur les autres, de nuit, sur une route en
construction cahoteuse.
Dimanche
22 mars.
Pour
la première fois, on peut ôter les vestes et les polaires. Le vent est tombé.
Une chaleur agréable nous surprend sur la terrasse du Zafora. La moussaka et les
poulpes, calamars, pieuvres et moules qui surnagent dans les pâtes sont aussi
goûteuses que la vue décidément imprenable sur la caldeira... et cette brise
tiède toute nouvelle que nous espérons tenace.
Le
bateau quitte le port à 15 heures 30.
Une
des merveilles du voyage est de se dire que les vacances à Santorin sont en
effet finies, mais qu'on ne rentre pas. On continue. Et si au passage une autre
île nous fait de l'œil, et que, par chance, une liaison bateau est possible, il
ne nous reste plus qu'un petit clic à faire pour confirmer... notre envie.
D'autant plus facile qu'on trouve hors-saison à loger toute une famille pour
moins de 35 francs par jour.
Et
nous voici en route, non pas pour Le Pirée, mais pour Naxos. Avec une petite
pensée quand-même pour la suite du voyage et le temps qui continue de passer.
Car on pourrait vagabonder encore longtemps dans les Cyclades.
Naxos. On prend nos nouveaux quartiers dans la pension Irène.
Naxos.
La plus grande île des Cyclades, la plus fertile, aussi, où oliviers, figuiers,
orangers et citronniers disputent des bouts de terre au maïs et aux
pommes-de-terre, tandis que les vignes s'étendent sur les flancs des montagnes
à l'intérieur des terres...
Naxos,
liée à la légende du Minotaure: le courageux Thésée, après avoir vaincu le
monstre crétois et être sorti du labyrinthe sain et sauf grâce au fil d'Ariane,
fille du terrible roi Minos, abandonna celle-ci à Naxos, sur l'injonction de
Dyonisos qui s'était épris d'elle et l'épousa.
Dyonisos, dieu du vin, est d'ailleurs le dieu le plus vénéré de l'île.
On
ne pouvait décemment passer notre chemin sans faire escale sur cette perle des
Cyclades, montagneuse et sauvage. Après la maritime Santorin, nous voici
plongés dans des collines bucoliques et
rochers escarpés, plantés de dizaines d'églises byzantines. Ça sent la terre,
les chèvres, le citron. Seul le chant incongru du goéland ou un palmier égaré
parmi les oliviers nous rappelle que nous sommes sur une île.
La
météo malheureusement nous annonce deux journées maussades et pluvieuses, donc
guère de chance d'escalader le Mont Zeus, plus haut sommet des Cyclades avec
ses 1004 mètres de caillasse, qui depuis notre arrivée boude derrière les
nuages.
Lundi
23 mars. Après une heure d'attente au bord de la route inondée, nous renonçons
au bus dont l'horaire est pour le moins aléatoire, pour nous rabattre sur la
voiture. Riche idée, puisqu'au final, hors saison, elle ne nous coûtera guère
plus qu'un billet aller-retour dans les deux bus locaux quotidiens. Avec la
liberté en plus, d'explorer les moindres recoins de l'île.
Belles
balades entrecoupées d'averses dans la campagne naxoise, à découvrir de
pittoresques églises byzantines ou de colossales statues d'éphèbes sculptées
dans le marbre aux VIe et VIIe siècles av. J-C, les "kouros",
abandonnées dans d'antiques carrières. Le marbre représente aujourd'hui encore
une ressource importante de l'île. Tout comme le "kitron", liqueur
locale forte à base de feuilles de cédratier, au fruit difficilement
consommable au naturel, ressemblant au citron. Son écorce prend le goût et toute
la douceur de l'île dans l'excellente confiture de "kitron".
La
pluie nous convainc, riche idée, de laisser en plant notre pique-nique et de
nous réfugier dans une petite taverne du village isolé d'Apiranthos. On y
retrouve la cuisine simple et goûteuse à partir de produits locaux, et une
charmante dame qui en plus du copieux repas commandé, nous sert toutes sortes
de plats traditionnels "pour nous faire goûter". Un délice!!! Une
cuisine authentique... à des prix à nouveau authentiques.
Le
lendemain, contre toute attente, le soleil brille. Une promenade à travers le
printemps et la chaleur retrouvée nous mène aux ruines du temple de la déesse
Démeter, où se réunissaient les paysans
naxois organisés en clan afin de vénérer la déesse de la terre et de la
fécondités et espérer de riches récoltes.
Le
Mont Zeus, voisin, la tête hors des nuages, nous nargue plus que jamais. Un peu
tard pour monter là-haut. Allons déjà jusqu'à la grotte, puis on verra. Un
sentier raide mais efficace nous emmène finalement au sommet. Majestueux,
incroyable, phénoménal! Il n'est pas bien haut, cependant, mais dominant tous
les autres, la vue est aussi belle et les sensations aussi grisantes que sur un
4000. La mer nous entoure. Les flancs arides laissent place à une campagne que
l'hiver pluvieux a habillé de verts intenses. Ça et là quelques villages
esseulés, minuscules névés dans la lumière du soir.
Il nous reste juste le temps d'explorer le nord de l'île. Une poignée de villages isolés accrochés aux montagnes, certains presque morts, quelques maisons éparses, modestes, deux trois lumières dans la nuit... Puis plus rien. Un monde de solitude.
Le
25 mars est jour férié. Le parking du Pirée est fermé. L'occasion de prolonger
encore notre séjour à Naxos. L'occasion aussi de retrouver l'animation d'une
taverne populaire, où des plats gargantuesques défilent dans les éclats de
rire. Tsaziki, croquettes au fromage, mouton au four aux légumes d'été, tomates
et féta, "soutzoukakia", boulettes de viande hâchée épicée à la
tomate, "pastitsio", gigantesque gratin de pâtes, poulet, mouton et
porc décliné sous toutes leurs formes, selon l'imagination du jour,
"yemista", légumes farcis et plus encore....
Une balade digestive s'impose, à travers le labyrinthe inextricable que forment les ruelles tortueuses et étroites de la vieille ville. À tout moment, on s'attend à buter contre le furieux Minotaure....
Il
est temps pour nous de quitter les îles et de retourner à une vie plus
simple....