mercredi 25 mars 2015

Santorin - Naxos

Six heures trente. Pas besoin de réveiller Zoé et Loïse, elles frétillent déjà, folles d'excitation. La veille encore, nous n'avions ni location ni billet de bateau. Tout s'est enchaîné très vite, nous avons enfin trouvé un petit pied-à-terre.
Le Pirée se réveille alors que nous trottons jusqu'au port. Le bateau nous attend. Doodle, uno, dessin, blog, café.... de quoi s'occuper durant les huit heures que dure le voyage.

Depuis le pont du Blue Star Ferry déjà, on tombe amoureux. La célèbre île ensorcelle dès qu'on l'aperçoit. Ancienne Strongili (la Ronde), Santorin a pris forme et acquis ses falaises vertigineuses suite à une énorme explosion volcanique qui provoqua l’effondrement dans la mer du centre de Strongili, vraisemblablement en 1613 av. J-Ch., laissant derrière elle un vaste cratère circulaire... "Caldeira" impressionnante.
Gigantesques falaises tombant dans les eaux indigo de la caldeira, maisons multicolores agrippées à la roche noire, parfois tombant en avalanches de chaux jusqu'à mi-parcours de criques inaccessibles. Le regard s'accroche, les exclamations fusent sur le pont. Quelle beauté!


Thira-Imerovigli

Une première journée dans la capitale de l'île, Thira, à flâner dans les ruelles étroites et tordues  jusqu'à Imerovigli. A rêver devant les terrasses des suites et hôtels chics avec vue sur la caldeira, à baver sur les tables de marbre, flûtes de Champagne, jus d'orange en peignoir, jaccuzzi au coucher du soleil. Destination chic et luxueuse qui a su cependant garder son charme. Ni haô, namasté, merhaba, ohayò, selamat pagi, dobroye utro... les rues de Thira sont internationales. Une foule qui nous change du sauvage et solitaire Péloponnèse. Pourtant, "there's nobody", d'après les insulaires. La saison commence à Pâques.
Une fois quitté la rue principale, on est toutefois à nouveau seul au monde. Douce quiétude et vue à couper le souffle devant le Monastère de Panaghia Theoskepasti, moulé dans la roche.
Seuls les bruits de marteaux-piqueurs, truelles qui frottent, ponceuses vibrantes et perceuses stridentes brisent la tranquilité des lieux. Thira et Imerovigli se préparent pour la saison d'été. On maçonne, on blanchit, on rafraîchit. Ouvriers et ânes s'activent.... De l'aube à la nuit avancée, ça travaille, il n'y a plus de dimanche. C'est que l'hiver pluvieux a rendu les travaux difficiles. Ciment, tuyaux, sacs de chaux, cuisinières, frigos et jaccuzzis déambulent dans les venelles étroites inaccessibles aux voitures, à dos de mulet ou à dos d'homme. Les camions-poubelles, avec leurs grandes oreilles et leur regard mouillé, sont quant à eux attendrissants.









 


"Camion-poubelle"

Un premier apéro au soleil couchant, l'excitation de la semaine à peine entamée qui se déroule devant nous... Et plus encore. L'impression de régner sur les flots. Une petite pensée pour les villageois, qui, dans le temps, au même endroit, guettaient les pirates.



 






Nous regagnons nos pénates avec une carte de rando dans le sac. Ni terrasse avec vue sur la caldeira, ni jaccuzzi ni marbre, mais une jolie chambre avec kitchenette qui avec ses vingt mètres carrés nous paraît tellement vaste. Et vu les milles et une richesse de l'île et multiples randonnées qui nous font de l'œil, nous ne verrons guère plus que le lit durant notre séjour. Et le bout de terrasse que nous déménageons à l'intérieur tellement il fait froid.

Dix-huit degrés en Valais, entre neuf et onze, treize au plus fort de la journée à Santorin. Les costumes de bain prennent la poussière, les robes d'été s'habillent de polaire, et le seul pull à longue manche que nous avons emporté n'a qu'à bien se tenir.



Thira-Imerovigli-Oia

Une longue balade le long de la falaise nous mène de Thira à la pointe nord-ouest de l'île. Un cadre enchanteur, une vue imprenable sur toute l'île. Oia, dans le lointain, minuscule tâche blanche qui nous appelle et se laisse désirer. Les maisonnettes cycladiques accrochées à la falaise dégringolent en cascade jusqu'aux eaux turquoises de la Mer Egée. 
Une fois passé Imerovigli, de rares hôtels offrent calme, vue, piscine et jaccuzzi aux vacanciers, tandis que le sentier s'élève sur les flancs du Mavrovouno, dans un environnement à nouveau sauvage et venteux. Psilos Stavros, petite chapelle dominant Oia, invite au farniente, le temps d'une pause jaune printemps à l'abri du vent.
Oia. Fascinante, splendide, avec ses maisons-grottes multicolores se déployant de part et d'autre de l'ancienne forteresse. Féerique dans la lumière du couchant....



 



























 Akrotiri-Red Beach-Akrotiri

Plongeon dans le passé dans la cité antique minoenne profondément enfouie sous les cendres après la violente éruption volcanique de 1613 av. J-Ch. Des habitations bien conçues s'élevant sur plusieurs étages, des fresques murales délicates, des ornements et objets indiquant une société en avance sur son temps. Personne ne sait ce qu'il est advenu du peuple minoen d'Akrotiri. Aucune trace, aucun ossement trouvé sur les lieux. Le mystère reste total. Troublant.
Une promenade jusqu'à la Red Beach nous permet d'approcher la côte sud-ouest de l'île, plus sauvage... qui nous reverra sûrement.


 









Thira-NeaKameni-Palia Kameni-Thira

Un charmant bateau de pirates déjà ployant sous le poids de touristes nous attend au vieux port de Thira. Traversée houleuse au large de Santorin. Cap sur l'île volcanique de Nea Kameni. Le volcan, fumant et toussant, nous accueille avec ses noirs ocre striés de rouges et de verts aux teintes quasi artificielles. Joyeuses réminiscences qui nous reviennent en même temps que les quelques rares fumerolles souffreteuses qui s'échappent du cratère. Toujours aussi enchanteur, bien qu'incontestablement plus "léger" que nos vagabondages éoliens sur Vulcano.
Les quinze minutes qui nous séparent de Palia Kameni enchantent les filles, alors que le navire joue aux montagnes russes et nous balance sur sa proue, dans de joyeuses éclaboussures.
Nous attendons avec impatience les sources chaudes. On nous a promis 30 à 35 degrés... plus que délectable dans ce vent qui nous glace. Les vagues éclatent en même temps que nos rêves de vapeur brûlante, alors que le capitaine nous annonce, dans un éclat de rire, la température de l'eau: 9 degrés, ouf, il s'agit de la mer... hum, "2-3 degrés de plus dans les sources chaudes qui peinent en cette saison à réchauffer davantage la mer", poursuit le gentil capitaine.  Bon, on s'en accommodera, quitte à ne tremper que la pointe des orteils. L'essentiel étant de s'éclabousser et de goûter à la boue. Les pensées s'entrechoquent, tentant vainement d'accommoder la réalité au rêve, tandis que le bateau jette l'ancre.... à une centaine de mètres des sources chaudes. Ah, ça, on avait oublié de nous le préciser. Reste plus qu'à sauter. Le choc est brutal, les hourras des autres passagers engoncés dans leurs polaires, et doudounes réchauffent néanmoins un peu. Zoé, courageuse, est trop occupée à claquer des dents pour se plaindre. Glacial, mais furieusement revigorant! Les sources boueuses paraissent presque chaudes.... quel bonheur! Le retour, on n'en parle même pas. Passer d'une douce tiédeur au froid le plus vif tient du calvaire. Des millions d'aiguilles transpercent les corps. La mer s'en mêle, avec ses vagues de plus en plus grosses qui s'entêtent à nous repousser. Belle expérience, néanmoins, insolite, avec un dernier constat: le plus dur n'aura été ni le plongeon dans l'eau glacée, ni le froid.... mais la séance de rhabillage sur une mer tourmentée, dans un vent glacial, en déséquilibre total.
Des ânes nous attendent au port pour nous tracter jusqu'à la ville.... et c'est dans les rires et le fumet odorant d'un agneau "kleftiko" cuit à l'étouffée sur une terrasse dominant la caldeira que se termine la journée.



























 Pyrgos-Monastère de Prophitis Ilias-Ancient Thira-Perissa

Un village aux ruelles capricantes tordues de vie entre les toits et les terrasses blanchis à la chaux, des fumets d'ail et d'herbes qui s'échappent des petites cases aux fenêtres moustiquetées.
Un sentier étroit suspendu au-dessus d'une plaine crochetée de blanc, patchwork de maisons et de cultures en terrasse. Une salade grecque à l'origan insulaire savourée les pieds dans le vide, les narines flattées de senteurs du maquis. Le bal des martinets noirs, pâles, à ventre blanc et des hirondelles de fenêtres, rousselines et rustiques, en migration, rasant nos têtes dans une chasse aux insectes effrénée. Un panorama à couper le souffle, les pensées qui s'envolent vers les îles lointaines qui se devinent à peine, le souffle chaud du soleil qui nous caresse après le vent fort et glacial qui nous a fait regretter les gants le temps de la grimpette sur les crêtes. Une terrain de jeu géant pour Zoé et Loïse qui n'on' en ont jamais assez.
Une balade peu exigeante qui nous laisse le temps de déguster les délices du sac autant que cette immensité s'étendant à nos pieds et laissant derrière elle des bribes de printemps.  
Avec une belle surprise à la descente: le monastère de Panagia Katefiani encastré dans une gigantesque falaise où s'élèvent et s'entremêlent prières et voies de grimpes ardues.


















Nous emportons le féerique coucher de soleil dans une sombre taverne pour un souper lumineux.



Akrotiri-Red Beach-White Beach-Agia Athena-Akrotiri

En fin de semaine, c'est le vent qui dicte nos balades. On boude le nord de l'île pour le sud. Le vent nous rattrape sur les plages et sur les crêtes, mais nous offre de bons moments de paix et, de tempêtueux, devient presque confortable...
À quelques encablures de la très encombrée Thira, on plonge dans une Grèce rurale et authentique. Bonnes vieilles en fichu, étonnamment vives et alertes lorsqu'elles se mettent à courir après leur chèvres, vignes en couronnes sur sol aride constellé de pierres volcaniques, fournissant le goûteux Vino Santo de Santorin, un coq et sa cour de poulettes, un cheval un mouton, une bergerie dans ce fatras de bêtes, chiche demeure plantée à côté d'une poignée de patates, quelques parcelles d'orge pour la consommation personnelle, deux trois champs fraîchement labourés, et des paysages de bout du monde sur cette extrémité d'île pointant le sud-ouest. Les falaises rouges et blanches dégringolent dans une eau turquoise, le sentier défie le vide. Des petites églises blanches égaient cette nature rude. On sous-estime les distances, on se perd dans cet univers aride à la beauté épurée, sans artifice. La "frougana" grecque nous enchante à tel point que c'est au terme d'une course effrénée que nous attrapons de justesse le dernier bus pour Thira.









 




  

 

 


Ouf! On a repris un rythme de fous sur cette île ensorcelante. Rarement rentrés avant la nuit, les soupers à l'espagnole vers 21 heures.
On quitte nos quartiers à la mi-journée pour une dernière balade tranquille avant de reprendre le bateau.

 


Séduits en début de semaine par Oia, réputée pour ses couchers de soleil féeriques, on retourne là-bas... en bus cette fois-ci. Jolie balade vers le charmant village de Finikia, qui a poussé en quinconce sur les flancs d'une étroite gorge. Les maisonnettes multicolores construites dans un joyeux désordre, les murs arrondis, les angles imparfaits, les ruelles tordues et les escaliers irréguliers lui donnent un charme fou.
Un dernier coucher de soleil romantique... parmi une bonne centaine de joyeux lurons, un retour encombré dans un "local bus" où s'entassent autant de personnes, assis, debout, les uns sur les autres, de nuit, sur une route en construction cahoteuse.









  





 





  

Dimanche 22 mars.
Pour la première fois, on peut ôter les vestes et les polaires. Le vent est tombé. Une chaleur agréable nous surprend sur la terrasse du Zafora. La moussaka et les poulpes, calamars, pieuvres et moules qui surnagent dans les pâtes sont aussi goûteuses que la vue décidément imprenable sur la caldeira... et cette brise tiède toute nouvelle que nous espérons tenace.
Le bateau quitte le port à 15 heures 30.



Une des merveilles du voyage est de se dire que les vacances à Santorin sont en effet finies, mais qu'on ne rentre pas. On continue. Et si au passage une autre île nous fait de l'œil, et que, par chance, une liaison bateau est possible, il ne nous reste plus qu'un petit clic à faire pour confirmer... notre envie. D'autant plus facile qu'on trouve hors-saison à loger toute une famille pour moins de 35 francs par jour.
Et nous voici en route, non pas pour Le Pirée, mais pour Naxos. Avec une petite pensée quand-même pour la suite du voyage et le temps qui continue de passer. Car on pourrait vagabonder encore longtemps dans les Cyclades. 

Naxos. On prend nos nouveaux quartiers dans la pension Irène.


Naxos. La plus grande île des Cyclades, la plus fertile, aussi, où oliviers, figuiers, orangers et citronniers disputent des bouts de terre au maïs et aux pommes-de-terre, tandis que les vignes s'étendent sur les flancs des montagnes à l'intérieur des terres...
Naxos, liée à la légende du Minotaure: le courageux Thésée, après avoir vaincu le monstre crétois et être sorti du labyrinthe sain et sauf grâce au fil d'Ariane, fille du terrible roi Minos, abandonna celle-ci à Naxos, sur l'injonction de Dyonisos qui s'était épris d'elle et l'épousa.
Dyonisos, dieu du vin, est d'ailleurs le dieu le plus vénéré de l'île.

On ne pouvait décemment passer notre chemin sans faire escale sur cette perle des Cyclades, montagneuse et sauvage. Après la maritime Santorin, nous voici plongés dans des collines bucoliques et rochers escarpés, plantés de dizaines d'églises byzantines. Ça sent la terre, les chèvres, le citron. Seul le chant incongru du goéland ou un palmier égaré parmi les oliviers nous rappelle que nous sommes sur une île.
La météo malheureusement nous annonce deux journées maussades et pluvieuses, donc guère de chance d'escalader le Mont Zeus, plus haut sommet des Cyclades avec ses 1004 mètres de caillasse, qui depuis notre arrivée boude derrière les nuages.



Lundi 23 mars. Après une heure d'attente au bord de la route inondée, nous renonçons au bus dont l'horaire est pour le moins aléatoire, pour nous rabattre sur la voiture. Riche idée, puisqu'au final, hors saison, elle ne nous coûtera guère plus qu'un billet aller-retour dans les deux bus locaux quotidiens. Avec la liberté en plus, d'explorer les moindres recoins de l'île.
Belles balades entrecoupées d'averses dans la campagne naxoise, à découvrir de pittoresques églises byzantines ou de colossales statues d'éphèbes sculptées dans le marbre aux VIe et VIIe siècles av. J-C, les "kouros", abandonnées dans d'antiques carrières. Le marbre représente aujourd'hui encore une ressource importante de l'île. Tout comme le "kitron", liqueur locale forte à base de feuilles de cédratier, au fruit difficilement consommable au naturel, ressemblant au citron. Son écorce prend le goût et toute la douceur de l'île dans l'excellente confiture de "kitron".
La pluie nous convainc, riche idée, de laisser en plant notre pique-nique et de nous réfugier dans une petite taverne du village isolé d'Apiranthos. On y retrouve la cuisine simple et goûteuse à partir de produits locaux, et une charmante dame qui en plus du copieux repas commandé, nous sert toutes sortes de plats traditionnels "pour nous faire goûter". Un délice!!! Une cuisine authentique... à des prix à nouveau authentiques.
















Le lendemain, contre toute attente, le soleil brille. Une promenade à travers le printemps et la chaleur retrouvée nous mène aux ruines du temple de la déesse Démeter, où se réunissaient les paysans naxois organisés en clan afin de vénérer la déesse de la terre et de la fécondités et espérer de riches récoltes.
Le Mont Zeus, voisin, la tête hors des nuages, nous nargue plus que jamais. Un peu tard pour monter là-haut. Allons déjà jusqu'à la grotte, puis on verra. Un sentier raide mais efficace nous emmène finalement au sommet. Majestueux, incroyable, phénoménal! Il n'est pas bien haut, cependant, mais dominant tous les autres, la vue est aussi belle et les sensations aussi grisantes que sur un 4000. La mer nous entoure. Les flancs arides laissent place à une campagne que l'hiver pluvieux a habillé de verts intenses. Ça et là quelques villages esseulés, minuscules névés dans la lumière du soir.


 



  

















Il nous reste juste le temps d'explorer le nord de l'île. Une poignée de villages isolés accrochés aux montagnes, certains presque morts, quelques maisons éparses, modestes, deux trois lumières dans la nuit... Puis plus rien. Un monde de solitude.



Le 25 mars est jour férié. Le parking du Pirée est fermé. L'occasion de prolonger encore notre séjour à Naxos. L'occasion aussi de retrouver l'animation d'une taverne populaire, où des plats gargantuesques défilent dans les éclats de rire. Tsaziki, croquettes au fromage, mouton au four aux légumes d'été, tomates et féta, "soutzoukakia", boulettes de viande hâchée épicée à la tomate, "pastitsio", gigantesque gratin de pâtes, poulet, mouton et porc décliné sous toutes leurs formes, selon l'imagination du jour, "yemista", légumes farcis et plus encore....

 
Une balade digestive s'impose, à travers le labyrinthe inextricable que forment les ruelles tortueuses et étroites de la vieille ville. À tout moment, on s'attend à buter contre le furieux Minotaure....

 




Il est temps pour nous de quitter les îles et de retourner à une vie plus simple....